Poster Joe Cocker
Rock & Folk n°251 (avril 1988) © Inconnu

Avec un petit coup de main de ses amis, quelques bonnes chansons venues d’ailleurs et, surtout, une voix qui restera parmi les plus belles de l'histoire du rock, Joe Cocker a, mine de rien, réussi une carrière plus qu’honorable - avec quelques trous dans la trame, c’est vrai, quelques magistrales déchirures et des chutes vertigineuses jusqu’aux limites de l'oubli, mais toujours Joe s’est récupéré en beauté. Qui aurait dit, en 67, que le petit plombier de Shef?eld serait encore là en 88 ? Vingt ans après...

 


PLOMBIER

John Robert Cocker naît le 20 mai 1944 à Sheffield, ville du nord de l’Angleterre plus réputée pour ses aciéries que pour la richesse de sa scène musicale. Adolescent, il s'initie simultanément à la plomberie et aux joies du skiffle, du rock’n’roll et du blues, avec - déjà - une prédilection marquée pour Ray Charles. Dès la des années 50, ' sévit dans une formation locale, les Cavaliers, à la batterie et à l'harmonica. Ce groupe deviendra les Avengers, Joe passant au chant sous le nom de Vance Arnold.

En 1964, il reprend son vrai patronyme et met en boîte une maquette qui intéresse Decca. Il enregistre ainsi son premier 45 tours pour le label des Rolling Stones, une reprise du "I’ll Cry lnstead" des Beatles qui passe totalement inaperçue. Il rebaptise ses accompagnateurs du nom de Bi Blues et tourne en première partie de Manfred Mann et dans les bases américaines en France, avant d'être remercié par Decca.

De retour à Sheffield, il retrouve son chalumeau de plombier sans renoncer à chanter pour son plaisir. Il monte ainsi un nouveau groupe avec Chris Stainton, qui se révèle un parfait partenaire pour composer. Outre Stainton à a basse, le Grease and comprend Henry McCullough à la guitare, Tommy Eyre aux claviers et Chris Slade à la batterie, et met à son répertoire les succès Tamla-Motown du jour.

 


© Claude Gassian

COUP DE MAIN

En 1967, une bande atterrit sur le bureau de Denny Cordell, l'heureux producteur de Procol Harum. Séduit par la voix râpeuse et très soul de Cocker, il le convainc de descendre à Londres avec Stainton et le signe sur son label Regal-Zonophone (qui évoluera en Cube et Fly). Il lui fait enregistrer un simple avec les guitaristes Jimmy Page - en rupture de Yardbirds - et Albert Lee, "Marjorine", qui fait une brève apparition dans les charts. Ce qui n’empêche pas Cocker et le Grease Band de casser la baraque au festival de jazz et de blues de Sunbury, durant l’été 68. Un des grands moments du show est une reprise épique du "With A Little Help From My Friends" des Beatles, qui est choisi comme prochain single. Une décision judicieuse, puisque Joe se retrouve n° 1 dans les charts britanniques à la fin de l'année et reconnu comme l’un des meilleurs chanteurs blancs de soul au monde.

Même si son premier album, portant le même titre que son hit, début 69, le voit accompagne par des pointures comme Page ou Stevie Winwood, Cocker reste fidèle au Grease Band pour la scène, tout en l'améliorant. Eyre et Slade, trop jazzy, sont remplacés par le bassiste Alan Spenner et e batteur Bruce Rowland, Stainton passant aux claviers. C'est avec eux que Joe effectue ses deux (premières tournées américaines, en passant par Woodstock (sa prestation est un des clous du film), et qu’il enregistre son second album à LA.

 


© Michel Hamon

CHIENS FOUS

Déjà passablement éprouvé par plusieurs mois sur la route, Cocker dissout le Grease Band en février 70, et c’est avec l'idée d'annuler une tournée prévue pour le printemps qu’il débarque à L.A. le 11 mars.

Mais son manager ee Anthony ne l'entend pas de cette oreille, lux prédisant de graves répercussions pour la suite de sa carrière s'il se défile. Apprenant cela, le pianiste Leon Russell, que le chanteur a connu pendant les séances de "Joe Cocker", son deuxième LP, lui propose de monter un groupe au pied levé avec ses amis musiciens de Delaney & Bonnie, duo de gospel-rock alors très populaire (George Harrison, Eric Clapton ou Dave Mason tapent souvent le bœuf avec eux).

La troupe prend le nom de Mad Dogs & Englishmen et atteint quarante-trois personnes, y compris une équipe de cinéma dirigée par Pierre Adidge et engagée pour réaliser un documentaire.

La réussite est incontestablement au rendez-vous, comme en témoignent le double-album live mémorable et le film qui immortalisent l'événement. Le jeu de scène épileptique de Joe, qui se désarticule en semblant jouer d’un instrument imaginaire, sa voix, bien sûr et l’ambiance de folie qui règne sur cette revue seul/rock débridée installent Cocker au firmament des stars du rock. Pas pour très longtemps.

LA CHUTE

Du jour au lendemain. Joe disparaît, lessivé. Il ne sait plus où il en est, la tête laminé par l'acide. Car si les musiciens des Mad Dogs & Englishmen étaient une chouette bande de chouettes copains, ils étaient aussi pour bon nombre des défoncements invétérés. Et le petit plombier sur qui la gloire a fondu n'a pas su résister aux tentations.

 


© Pierre Terrasson

 

Après avoir traîné sur la côte ouest des USA, il essaie de se ressaisir en retournant chez ses parents à Sheffield. C'est 1a que le retrouve le fidèle Chris Stainton, our tâcher de lui remettre le pied à l'étrier. Les deux hommes se remettent à composer ensemble et Joe revient à la scène début 72 avec le Chris Stainton All Star, qui comprend d'anciens membres du Grease Band et des Mad Dogs. Mais la magie n'est plus là et l'album mi-studio, mi-live "Somethmg To Say" (fin de l'année) ne fait pas l'unanimité. Qi plus est, Joe a été contraint de verser une bonne partie de sa "fortune" à Dee Anthony, qui l'a attaqué pour rupture de contrat.

Pour se consoler il se met à taper de plus en plus dans la clive bouteille, au point d'avoir souvent du mal à tenir debout sur scène. A trente ans il en paraît vingt de plus, usé prématurément. Sans pourtant y perdre sa voix. Il enregistre ainsi deux albums produits par le trompettiste Jim Price (ex-Mad Dogs en 74 et 7S, "I Can Stand Little Rain" et "Jamaïca Say You Will", et effectue un bref retour ans les charts US avec "You Are So Beautiful".

 


© Philippe Hamon


LE TROU

En 76, Jim Price, lassé de jouer au Saint-Bernard, s'efface et c'est Michael Lang, l'organisateur du festival de Woodstock, qui reprend en mains la carrière de Joe. Ou ce qu'il en reste. Toujours aussi erratique live, le chanteur est hélas fidèle à sa légende d’épave lors d'une apparition au festival du Castellet, où il est pourtant accompagné par Stuff, brillante formation de requins de studio new-yorkais que l'on retrouve sur l'album "Stingray". Cette mauvaise réputation lui vaut d’être viré e chez A&M.

 


© Michel Hamon

 

On le retrouve chez Asylum pour un unique LP. "Luxury You Can Afford", en 78, produit par Allen Toussaint et enregistré à Muscle Shoals avec des guest-stars comme Rick Danko du Baud, Dr. John ou Donny Hathaway, sans qu'il parvienne à remonter la pente. Au contraire, le show-biz ne veut plus entendre parler de cet instable chronique au style anachronique en pleine new-wave. Joe esquisse cependant un timide come-back en chantant deux morceaux sur l'album "Standing Tall" des Crusaders en 81, ce qui donne à Chris Blackwell, le grand manitou de chez Island, l’idée de le signer. C'est ainsi qu'il entre en studio avec Sly Dunbar, Robbie Shakespeare, Jimmy Cliff et Robert Palmer, entre autres, pour l'album "Sheffield Steel", qui sort en 82 et redore son blason.

 


© Claude Gassian


LA REDEMPTION

Le coup de pouce décisif lui est apporté par le succès de box-office du film "Officier et Gentleman" de Taylor Hackford, dont il chante le thème, "Up Where We Belong", en duo avec Jennifer Wames. Cela lui vaut un oscar, et de se retrouver n° 1 dans les charts américains.

Même si Island, à son tour, le laisse filer, Joe n'a pas de problèmes cette fois pour se recaser chez Capitol. "Civilized Man" en 84, produit pour moitié par Gary Katz (Steely Dan) et Stewart Levine (Crusaders), marche plutôt bien, comme le plus discutable "Cocker" de 86, tiré ar une bonne version du "You Can Leave Your at On" de Randy Newman (l'un de ses compositeurs fétiches) que l'on peut entendre sur le strip-tease de Kim Basinger dans le film "Neuf Semaines 1/2".

 


© Bruno Ducourant

 

Et le récent "Unchain My Heart" (emprunté à Ray Charles), produit par Dan Hartman et Charlie Minight, les artisans du come-back de James Brown, confirme que le vieux Joe n'est décidément pas à classer au rayon has-been. Désormais sobre et ayant trouvé l'âme sœur, il reste l'une des plus extraordinaires voix du rock, interprète hors pair des Beatles, de Dylan ou de Randy Newman.

DISCOGRAPHIE

Coup d’essai et coup de maître, "With A Little Help From My Frlends" donne une couleur soul à des standards des Beatles ou de Dylan, vole qui est poursuivie avec "Joe Cocker". "Something To Say" laisse la part belle aux compositions de Stainton et cocker comme "High Time We Went", pied au plancher, "l Can Stand A Little Rain" et "Jamaica Say You Will" étant plus douloureux et introvertis. "Stingray" se révèle plus incisif, le "Live ln LA." (correct) étant une parenthèse exhumée de bandes plus anciennes. "Luxury You Can Afford" flirte avec bonheur avec le swing décontracté du sud des USA, et "Shefleld Steel" est une perle ciselée eu soleil des iles. Si "Civilized Man" fait mentir son titre, la bête montrant encore Ies dents, "Cocker" s’englue trop souvent dans une mélasse souparde qui est rattrapée par la bonne tenue de "Unchaln My Heart".

LE MEILLEUR ALBUM

"Mad Dogs & Englishmen" figure sans problème sur la liste des dix meilleurs doubles live de l'histoire du rock-pour la spontanéité et la joie de jouer et de chanter, on y trouve tout ce qui fait l’essentiel de l'univers de Joe Cocker, reprises gospelisantes des Beatles ("She Came in Through fine Dathroom Window") ou des Stones ("Honky Tonk Women"), relectures de Roy Charles ("Let’s Go Get Stoned"), ballades déchirantes ("Bird On The Wire" de Leonand Cohen ou l'extraordinaire "Blue Modley"), sans oublier les hits que furent les dynamiques "Cry Me A River" ou "The Letter" (emprunte aux Box Tops d’Alex Chilton). Un vrai monument de "soul aux yeux bleux", comme disent les Angles-saxons.


© Joe Cocker & Lucie Lebens - Tous droits réservés