Joe Cocker
Podium numéro 8, 1972 ? © Keith Dartford

Depuis quelques temps, une agitation peu commune régnait dans les milieux pop informés et les salles de rédaction : Joe Cocker devait se produire à Paris, en compagnie de sa nouvelle formation. Pourtant, les bruits concernant sa tournée, qui nous parvenaient par le truchement des magazines étrangers, n'étaient pas de nature à nous rassurer. On était loin du triomphe de Mad Dogs & Englishmen. Le changement d’une grande partie du personnel de la formation précédente, liée à l’état de santé déficient du chanteur, dû à certains abus, étaient quelques-unes des raisons de ce subit revirement.

 

Après sa triomphale tournée aux U.S.A., dans laquelle il avait englouti tout ce qu’il avait pu gagner, Cocker déprimé, se retira à Sheffield, ville qui l’a vu naître afin de prendre un repos largement mérité. Après un temps d’inaction, il recruta des musiciens, dans le but d’entamer une tournée européenne.

Le premier à répondre à son appel, fut Chris Stainton, pianiste-organiste, qui suit le chanteur depuis les débuts du Grease Band. Il regroupa autour de lui divers membres appartenant soit à des formations britanniques disparues, soit à l’ancienne équipe de Mad Dogs, fit appel aux Sanctifired Sisters, un quatuor de filles noires, indispensable apport aux vocalises de Cocker, et baptisa le tout Chris Stainton Band.

C’est donc un groupe de neuf musiciens, plus les quatre choristes, qui se présenta sur la scène du Stade Couvert de St Ouen. Les choses avaient été faites en grand. Cette gigantesque salle qui doit pouvoir contenir 8000 personnes était aux 3/4 pleine. Pas l’ombre d’un uniforme ne vint troubler l’excellente ambiance qui y régnait. Les bonnes vibrations circulaient, bien à l’aise, et chacun, assis par terre, attendait avec impatience, mais calme, que se termine une première partie, au cours de laquelle Juicy Lucy se distingua particulièrement par une musique bruyante et sans intérêt.

 

Après un long entracte, surtout destiné à permettre l’installation d’un imposant matériel, apparut le Chris Stainton Band. Les plus physionomistes reconnurent derrière les deux batteries, Jim Keltner, un des anciens Mad Dogs et Alan White, ex-membre du Plastic Ono Band. Il y avait également, dans une chaise roulante, Ric Alfonso, un trompettiste paralysé des deux jambes, mais possédant un phrasé incroyable, deux saxes, Neil Hubbard à la basse, Alan Spenner à la guitare, et un percussionniste qui devait être Félix Falconi, et qui n‘était pas lui ! Plus les Sisters, dont la soliste, Gloria Jones, fit une éblouissante démonstration de vocaliste, durant un des titres les plus applaudi.

Après "Respect", immortalisé par Aretha Franklin, que les jeunes femmes interprétèrent avec brio, un petit bonhomme, de rouge et bleu vêtu s’avança sur le devant de la scène, mal à l’aise sur ses trop courtes jambes, le cheveu rare, le visage mangé de barbe et perpétuellement agité de tics. C’était lui. Durant une seconde, la salle retint son souffle. Si l’homme paraissait dans un état physique déplorable, la voix était là, cette grande voix qui attaqua avec "Midnight Rider", titre du nouveau simple. Pourtant, l’ambiance était froide, l’orchestre, peu souvent en place, semblait avoir du mal à soutenir le chanteur.

Malgré cela, au fil des titres, la musique prit de l’ampleur, de la force. Il fallut près d’une heure et une bonne dizaine de titres pour y arriver, ce qui parut bien long. On peut citer "Woman To Woman", "Do Right Man, Do Right Woman", un classique de la soul-music, une fantastique version de "Love The One You‘re With", de Steve Stills "Early In The Morning" qui figurera certainement sur le prochain simple et "Black Eyed Blues".

 

Ce ne fut qu’avec "High Time We Went" que les choses changèrent. On commença à retrouver le ton, cette chaleur et cette couleur qui étaient celles du bon vieux temps des Fillmore. Cocker, déchaîne, titubant ne cessant de passer une main nerveuse dans ses cheveux, s’ouvrit alors totalement au public, et ce furent "Cry Me A River", "Hitchcock Railway" et le désormais classique "The Letter" qui finirent ce concert en beauté. Fort bien soutenu par les quatre filles, solidement encadré par le Chris Stainton Band, qui au fur et à mesure de la prestation, avait retrouvé son homogénéité, notre homme semblant puiser ses forces au sein même de la musique donna en l'espace de quelques minutes, bien plus qu’il n’avait donné durant l’heure précédente. Et ce fut sous les applaudissements et les rappels qu’il quitta la scène. Qu’on se le dise : Cocker is alive and (for a while) living in Music...

 


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