Hey ! Joe ! Allez viens dire bonjour...
Maxi Pop 2, 6 juillet 1972 © Jacques Leblanc

Ça faisait longtemps que la France lançait des clins d'œil du cote de Miner Cocker en forme d'invitation, laissant sous-entendre "viens un peu nous montrer ce que tu sais faire, "Mad Dogs & Englishmen" nous a convaincus mais ce n’est jamais qu’un film, on aimerait bien vor ça en vrai…".

 


Et bien voilà la rencontre a enfin eu lieu, c’est dans la salle omnisport du stade de Saint-Ouen que s’est effectué le contact me mardi 27 juin. Bien sur certains privilégiés avaient vu Joe Cocker en France, soit dans des petits clubs, mais tout cela c’était bien avant "With A Little Help From My Friends". Il y avait eu également un court passage à Cannes lors du Midem en 1970, mais la durée de sa prestation bien trop courte ne pouvait être en aucun cas considérée comme un Joe Cocker Show, juste un aperçu de ses fantastiques moyens de chanteur pour nous faire baver un peu plus. Puis il y eut "Mad Dogs…" et l’on saliva encore davantage : et du coup de théâtre juste après complètement écœuré Cocker se retire du métier pour une période indéterminée, rongé par les aléas divers de la monstrueuse tournée et miné par différentes drogues. Plus d’un an après, suite à un formidable double album, on nous présente un film retraçant cette épopée, c’est dur pour nous pauvres Français, tant pis on rêve et on imagine ce que peut être un show de Joe Cocker. Quand tout à coup, peut-être par pression, c’est fort possible, Cocker réapparait au premier plan de la scène internationale et part effectuer une tournée aux States, critiquée par certains journalistes américains en comparaison de "Mad Dogs & Englishmen" mais tout de même triomphale au niveau du public. A son retour Joe Cocker effectue quelques prestations en Angleterre qui sont saluées par un accueil délirant de la part de ses fans, alors peut-être s’est-il dit "si on retournait faire un petit tour sur le vieux continent". Ce n’est pas nous qui pourrions lui en vouloir ; et le voilà en France pour deux concerts, un à Paris et le second, le lendemain, à Lyon, puis il sera de retour à la mi-juillet Antibes.

 


En gros environ cinq mille personnes sont venues l’applaudir à Saint-Ouen, ce qui n’est nullement négligeable comme impact ! Mais avant d’en arriver à Joe Cocker, parlons un peu de ce qui nous fut offert comme hors d’œuvre avant ce fameux plat de résistance que l’on attendait depuis si longtemps. Avant toute chose voyons un peu l’organisation, de ce côté-là on ne peut guère s’en plaindre, bien sur la chasse au laissez-passer fut un peu dure, mais enfin passons. On peut également noter que l’itinéraire aurait pu être un peu mieux indiqué, l’emplacement du stade de Saint-Ouen, surtout qu’il y en a plus d’un, n’est pas tout de même pas aussi connu que celui du bastion de l’Olympia, à moins d’être un supporter farouche du Red Star, ce qui n’est pas mon cas et d’ailleurs on ne joue pas au football dans le stade de l’Olympia !!!

Mais là où fut le plus grave reproche c’est dans l’acoustique de la salle, je sais bien que les salles en France ou le son est bon sont assez rares, et celles qui existent soit sont trop petites, ou se refusent à accueillir la rock music : dans ces conditions bien sûr il est dur de trouver la salle adéquate mais on aurait pu espérer rendre le résultat possible, dommage. Par contre à la décharge des organisateurs, notons la quasi-absence de flics : ce qui retire un poids non négligeable aux passages des vibrations musicales en comparaison de l’Olympia, et l’agréable environnement de la salle dont le parterre face à la scène est dépourvu de sièges et recouvert d’un vaste tapis et au pourtour garni de gradins, d’où le risque écarté de casser les fauteuils. C’est peut-être ces raisons qui laissent sous-entendre une ambiance moins tendue et plus cordiale, qui ont prévalu dans le choix de la salle pour les organisateurs. Maintenant que le décor est posé, place à la musique, parlons donc immédiatement de la première partie du spectacle, et pour l’ordre chronologique des choses, et par le fait qu’après avoir vu Joe Cocker aussi bon que soient ses prédécesseurs, on les oublie un peu. C’est un groupe folk qui ouvrait le concert et que malheureusement je n’ai pu voir et dont j’ai oublié le nom, étant arrivé au début du passage de Juicy Lucy. Ce groupe au hard-rock juteux, comme son nom l’indique presque, m’a fait passer un agréable moment. Et pourtant à leur égard tout le monde n’a pas toujours été gentil et la critique mitigée, personnellement j’ai gardé une bonne impression de leur premier album, si je n’ai guère suivi le cours du suivant. Bien qu’ayant subi d’importants changements de musiciens depuis son origine, Juicy Lucy fait preuve d’une homogénéité non négligeable, bien que le fait qu’ils jouent fort ne les ait pas avantagés, la puissance des amplis rendant l’acoustique déplorable (il est à noter que pour Joe Cocker la balance fut meilleur, le volume sonore ayant été diminué, la résonance et les effets d’échos en furent donc moins perceptibles).

La musique produite par Juicy Lucy est du rock solide, parfois teinté de guitares acoustiques, le tout joué sur une rythmique très carrée avec des interventions – orgue ou guitare – des chorus qui sans être éblouissantes restent néanmoins assez probantes, le tout emmené par un chanteur énergique en la personne de Paul Williams, se dépensant sans compter. Au passage ils gratifièrent d’un petit blues de Robert Johnson, ramenant notre beau monde à la grande époque du "british blues" de 68-69. Juicy Lucy termina son set par une incursion dans le répertoire des Rolling Stones avec "Jumpin’ Jack Flash" qui ne fut pas du meilleur effet et qui ternit quelque peu, sur cette triste note, l’agréable impression d’ensemble qu’ils venaient de me donner. Enfin il faut bien des erreurs pour faire ressortir les bonnes choses, dommage que celles-ci furent placées en fin de parcours. Enfin n’en parlons plus, glissons sur l’entracte ; "Hey Joe c’est à toi". Après de longues exhortations du public le Chris Stainton Band est enfin en place, c’est beaucoup plus à un orchestre qu’à un groupe qu’il faut assimiler le background de Cocker, qui comprend outre Stainton aux claviers, un guitariste, un bassiste, trois cuivres dont un handicapé qui joue merveilleusement, deux batteurs, un percussionniste, et je dois en oublier un ou deux, plus quatre choristes noires fantastiques, ce sont d’ailleurs elles qui ouvrent tout de suite le feu par le classique "Respect" en guise d’introduction.

 

C’est à se demander ou Cocker va pécher les extraordinaires musiciens qui l’entourent que ce soit avec les Grease Band, Leon Russel, ou ce dernier avec Mad Dogs & Englishmen, ou encore ce soir, il a toujours une machine à swing géante. Pendant que je me faisais ces petites réflexions, Joe Cocker est arrivé en scène, pas du tout rock-star avec tambours et trompettes comme certains, mais le plus simplement du monde, comme un roadie, comme si ca l’ennuyait de venir déranger tous ces gens qui jouent en ce moment et qui après tout sont faits pour l’accompagner. C’est par la face B de son nouveau simple "Midnight Rider" qu’il entame son tour et immédiatement une fantastique présence scénique se dégage de lui. Alors que le chanteur de Juicy Lucy était forcé de se dépenser en énergie pour maintenir la tension, Cocker ne bouge que très peu, comme fatigué par tout ça, et magnétise son audience sans forcer la dose. Dire que la salle lui était acquise avant qu’il n’engendre la première syllabe est certain, et bien qu’on le sache de prime abord, rien que par sa présence il obtient encore plus, presque une sorte de soumission. Bizarrement il est agité de tics nerveux et il ne fait à peu près aucun doute qu’il semble être complètement défoncé, ce qui n’empêche que vocalement Cocker c’est quelque chose, il a une voix qui se passe de tous superlatifs et autres qualitatifs élogieux. Il enchaine alors sur "Black Eydel Blues", l’ensemble est toujours très blues et pour être objectif c’est un peu long à démarrer comme si le cœur n’y était pas, orchestralement c’est parfait ; le feeling de Joe Cocker est grandiose et il chante le blues à merveille, mais il manque le passage à la dimension supérieures comme dans "Mad Dogs & Englishmen". Il commencera même l’introduction de morceaux comme "What I’d Say" ou "Marjorine" qu’il arrêtera au bout de dix secondes, l’impression qu’il n’arrive pas à diriger la formation comme il l’entendait se fait clairement sentir à certains instants. Puis c’est un morceau rapide, mais ça manque encore un peu de punch, comme celui qu’on lui connait en disque, le soliste en profite pour s’envoyer un petit chorus de guitare, et il repart sur un autre blues lent avec cette fois-ci un solo de piano. Les morceaux qui suivent restent dans un tempo médium parfois un peu poussif ou les musiciens tirent leur épingle du jeu, tel un magnifique solo de trompette très applaudi, dû au trompettiste paralysé. A côté de nouveaux titres dont je n'ai pu avoir les noms, on note plusieurs classiques ou reprises, tels "Early In The Morning" a pour la grande admiration que Joe Cocker voue à Ray Charles, "Do Right Man, Do Right Woman", "Feelin' Alright", "Hitchcock Railway" a également un titre de Steve Stills, etc. Puis c'est le titre choc de son nouveau single "Woman To Woman", le tube en puissance, et à nouveau un blues lent où les choristes, superbes aussi bien visuellement que vocalement, s'en donnent à "chœur" joie, Joe dialoguant avec elles, se renvoyant la balle à tour de rôle, pour ce nouveau titre il leur laisse même une belle part du passage en soliste et le public semble apprécié, applaudissent massivement cette intervention des choristes. Joe s'approche alors tout près du micro et annonce sur un ton de confidence "High Time We Went", et par là-même il semble passer la vitesse supérieure, dans la salle c'est le vrai délire, enfin on retrouve le grand Cocker, celui que "Mad Dogs & Englihsmen" nous a tant laissé espérer/attendre. Le déclic s'est produit et on sent que Cocker en veut, son aspect maladif semble le quitter, il parait moins faible, sa voix accroche encore mieux, c'est dire sa puissance.

 

Professionnellement l'orchestre le soutient avec brio bien que par moment il semble être en dehors du coup comme si ça ne lui plaisait guère d'être dirigé par Cocker et de sentir sa suprématie dominante de génie alliée à une classe hors pair encore une fois les qualificatifs sont superflus et n'ont plus aucun sens avec la qualité fondamentale et magnifique du chant présenté. Puis c'est de nouveau un morceau au rythme plus tempéré mais Cocker a perdu de sa tristesse par rapport aux titres joués précédemment dans le même style, il a presque l'air heureux d'être là, dans l'élément qui est le sien dans l'essence même de son esprit : la musique pour laquelle il vit depuis tant d'années déjà. Et quand il commence à chanter lentement et doucement l'introduction de "Cry me River", le délire fait place à l'hystérie dans la salle, tout le monde est descendu des gradins et se presse sur le parterre pour se rapprocher des barrières de protection. Avec "Cry Me A River" on retrouve définitivement le Joe Cocker de "Mad Dogs" et l'on prend un sérieux pied. Alors le spectacle prend toute sa dimension, avec fausse sortie et rappel délirant. Joe Cocker revient, tout le monde est debout et certains dansent; il nous envoie alors un formidable medley qui a pour base et est articulé sur "The Letter", titre percutant à souhait. Cocker donne le maximum et qui s'en plaindrait. Même l'orchestre se justifie pleinement lors, du pont entre les couplets, sur un dernier riff, la performance s'achève déjà, quand c'est bon c'est toujours trop court. Joe quitte la scène suivi de Chris Stainton, très grand pianiste, et des musiciens du Stainton Band.

C'est alors un maxi rappel mais il ne reviendra pas, peut-être est-il déjà part, c'est bien regrettable : "Hey Joe ! Moi j'ai même plus de montre, j'ai tout mon temps..." malheureusement je pense qu'il n'a pas dû entendre, et la fatigue ne devait rien arranger. En tout cas, tout s'est très bien passé, aucun incident n'est à déplorer, ce qui prouve bien que la présence des flics à l'Olympia est facultative et que dès qu'ils sont absents, aucune bagarre n'a lieu. Avis aux CRS qui revendiquent qu'ils n'ont pas de vie de famille, restez chez vous quand il y a un concert de rock, on est assez grand pour bien se tenir pour que tout se passe bien, comme ça vous ne nous ferez plus ch... Oh ! J'allais dire un gros mot, excusez-moi m'sieur l'agent. Pour en revenir à Cocker et d'une, tous les absents avaient torts et de deux pour reprendre les termes à la mode, c'était vraiment le Maxi-Super-Hyper Joe Cocker Show :
-…Ah oui madame Germaine, hier soir à Saint-Ouen c'était dément avec Cocker, quel pied j'ai pris, vous auriez dû laisser Guy Lux à la télé, et venir swinguer au son du Cocker Power. Fantastique !
-"Pas possible madame Lucienne, ha, ça alors qu'est-ce que je regrette, moi qui ai tous ses disques, vous auriez dû me prévenir! Surtout qu'à la télé c'était "Cadet Rousselle" avec Grateful Dead et je venais de les voir pour la troisième fois en quinze jours..."

C'était l’interview exclusive - en rêve malheureusement - du dialogue de ma concierge avec l’épicière du coin au lendemain du Joe Cocker Show !

 

 


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