Joe Cocker est de retour
Best n°49 (aout 1972) © Sacha Reins

Joe Cocker est de retour. Après une retraite do presque deux ans. Il a repris la route et pour se faire no s'est rien épargné puisque sa tournée durera un peu plus de deux mois. Nous étions nombreux a attendre à son hôtel l'après-midi de son arrivée à Paris. Le roi Cocker chez nous pour une journée, voilà un évènement qua nous ne voulions pas rater et une entrevue avec lui. J’en rêvais depuis des années.

 

Il m'est difficile d'exprimer la tristesse qui était la mienne lorsque je quittais son hôtel après avoir bavardé un moment avec lui. J'avais eu en face de moi un homme hébété, pouvant a peine parler, ne comprenant pas ce que je lui disais, ne sachant pas très bien ce qu'il faisait là, se demandant ce que je faisais la moi aussi en face de lui, ayant perdu toute notion de lieu et de temps, sachant simplement qu'a un moment donné quelqu'un lui dira "vas-y" et qu'i| ira chanter ses chansons. Le show-business peut être une terrible machine qui démolit les êtres qui s'y livrent complètement. Joe Cocker fait partie de ses victimes. On est allé le rechercher chez ses parents et on essaye de faire tenir la machine, de l'entretenir convenablement afin qu'il soit en état tous les soirs de remplir son contrat. Qu’importe le reste si les dollars rentrent. C'est très triste.

 

Le nouveau stade de St-Ouen devait contenir quatre à cinq mille spectateurs. Pendant la première partie Juicy Lucy propose une musique simpliste, sans aucune personnalité ni originalité. Très pauvre rythmiquement et harmoniquement, les compositions se ressemblent toutes. Provoquant vite la lassitude. La balance inexistante et la sono saturée augmentèrent encore l'impression de musique bruyante et mal construite. Juicy Lucy part de n’ importe où pour arriver nulle part. Pendant l'entracte, il y a dans les coulisses beaucoup d'affolement car Chris Stainton n'est toujours pas arrivé et Joe n'est guère emballe par l'idée de chanter sans le soutien de son pianiste. Tout s'arrange heureusement avec l'arrivée en dernière minute de Stainton, il avait raté son avion à Londres. Le Chris Stainton band pénètre donc sur scène et immédiatement attaque un classique du rythm and blues,"Uptight".

Le groupe ne sonne guère "together" et les quatre choristes noires ont également l'air de chercher leur équilibre vocal. Joe Cocker apparaît alors. Raide, cambré, se passant inlassablement la main dans les cheveux, se contorsionnant sans grâce. Il est là. Formidable présence qui hypnotise quatre mille paires d'yeux, il est plus que jamais rempli de cette magie qui fascine avant même qu'il ait commencé à chanter.

 

L'air ailleurs il annonce le premier morceau et Stainton joue l'introduction, les cuivres suivent et Joe Cocker chante. Le début est difficile. Non pas vocalement car il est toujours aussi exceptionnel mais le chanteur, le groupe et les choristes ont du mal à se trouver. Quelques flottements peut-être dus à la mauvaise acoustique qui empêche les musiciens de s'entendre, puis tout s'arrange. Avec le superbe "Woman to woman" l'appareil trouve sa vitesse de croisière. Chris Stainton supporte allègrement toute comparaison avec Leon Russel.

Ses arrangements sont sans faille. Une nouvelle version très bluesy de "Love the one you're with" qui n'est pas sans rappeler "With a little help from my friends" quant à la transformation par rapport à l'original, fut un des plus grands moments du concert. Dès lors tout se passe très vite et très haut. Le public, un peu désorienté par les nouveautés, se retrouve un terrain familier avec les grands succès d'il y a deux ans. "Feelin' allright", "Cry me a river" et le récent "High time we went" parachèvent l'ascension. La fête est réussie. La foule s'est levée et danse. The new Cocker family s'en va. Hurlements.

 

Ils reviennent. "The letter" et une nouvelle chanson dont je n'ai pas saisi le titre terminent en beauté un spectacle remarquable. En un peu moins d'une heure et demie Joe Cocker nous a rappelé qu'il était toujours le plus grand interprète blanc de sa génération, mais en voyant ce jeune homme hébété que l'on conduisait tel un somnambule vers sa loge je n'ai pu m'empêcher de me demander : combien de temps tiendra-t-il encore ?

P.S. : Ceux qui ont cru bon jeter des bouteilles sur les road managers qui remballaient le matériel sont des petits cons.


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